Las condiciones para la posibilidad del amor

L'homme peu instruit, poursuit Djerzinski, est terrorisé par l'idée de l'espace; il l'imagine immense, nocturne et béant. Il imagine les êtres sous la forme élémentaire d'une boule, isolée dans l'espace, recroquevillée dans l'espace, écrasée par l'éternelle présence des trois dimensions. Terrorisés par l'idée de l'espace, les êtres humains se recroquevillent; ils ont froid, ils ont peur. Dans le meilleur des cas ils traversent l'espace, il se saluent avec tristesse au milieu de l'espace. Et pourtant cet espace est en eux-mêmes, il ne s'agit que de leur propre création mentale.
Dans cet espace dont ils ont peur, écrit encore Djerzinski, les êtres humains apprennent à vivre et à mourir; au milieu de leur espace mental se créent la séparation, l'éloignement et la souffrance. À cela, il y a très peu de commentaires: l'amant entend l'appel de son aimée, par-delà les océans et les montagnes; par-delà les montagnes et les océans, la mère entend l'appel de son enfant. L'amour lie, et il lie à jamais. La pratique du bien est une liaison, la pratique du mal est une déliaison. La séparation est l'autre nom du mal; c'est, également, l'autre nom du mensonge. Il n'existe en effet qu'un entrelacement magnifique, immense et réciproque.»

Hubczejak note avec justesse que le plus grand mérite de Djerzinski n'est pas d'avoir su dépasser le concept de liberté individuelle (car ce concept était déjà largement dévalué à son époque, et chacun reconnaissait au moins tacitement qu'il ne pouvait servir de base à aucun progrès humain), mais d'avoir su, par le biais d'interprétations il est vrai un peu hasardeuses des postulats de la mécanique quantique, restaurer les conditions de la possibilité de l'amour. Il faut à ce propos évoquer encore une fois l'image d'Annabelle: sans avoir lui-même connu l'amour, Djerzinski avait pu, par l'intermédiaire d'Annabelle, s'en faire une image; il avait pu se rendre compte que l'amour, d'une certaine manière, et par des modalités encore inconnues, pouvait avoir lieu. 

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires

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